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Pour rebondir sur la question du petit contentieux belgische-belge, je n'aurais jamais cru que la prose d'un prof de droit canon (de la KUL qui plus est...) pourrait avoir quelque chose pour me séduire, mais je dois bien confesser que j'ai revu ma position à la lecture de la Carte blanche de Rik Torfs, publiée en flamand dans le Standaard du 14 juin et récemment en français dans Le Soir. C'est joliment tourné, bourré d'humour et finement observé.
« Walen buiten »
J’aime la Wallonie. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins d’haciendas tape-à-l’oeil qui enlaidissent le paysage. Car, franchement, à quoi cela ressemble-t-il, une hacienda dans un lotissement flamand sous la pluie maussade de novembre ? En faut-il plus pour douter de l’existence de Dieu ?
Les Wallons sont différents. Ils ne se vantent pas de leur propre modestie. Ils sont plus chaleureux que les Flamands. Ils se sentent plus Belges que Wallons. Ils cherchent fébrilement des arguments pour continuer à prendre au sérieux la famille royale. Ils sont moins cyniques, mais ne sont pas pour autant moins spirituels ; et ils meurent plus tôt.
On trouve des choses agréables chez nos voisins du Sud. Cet élégant français, tel qu’on le parle en Wallonie, et qu’il est rare désormais d’entendre chez nous. C’est dommage. Nous ne devons pas abandonner le français aux Wallons. Nous serions fous de brader nos facilités qui ont été notre atout pendant des dizaines d’années.
Mais les Wallons ont un charme ultime : ils ne sont pas Flamands. Ce n’est pas qu’il y a un problème avec les Flamands, mais il y en a un quand il n’y a que des Flamands. Alors, il semble qu’il y en a trop, certainement lorsqu’ils agitent des drapeaux, alors que nous sommes pourtant peu, si l’on compte les têtes. Y compris les têtes sans cervelle.
Assez d’autocritique. Je commence vraiment à me faire trop d’ennemis pour pouvoir encore tous les aimer. Car j’aime aussi la Flandre. J’aime plus la Flandre que la Wallonie, parce que je suis Flamand. Si j’aime la Flandre, ce n’est pas pour sa beauté, dans le style d’Anton Van Wilderode (NDLR : écrivain et poète flamand, 1918-1998). Non, cela ne me réussit pas. Les sentiments élevés sont parfois attisés artificiellement. Ainsi d’une beauté qui trouble la vue, qui aveugle, sans qu’il ne s’agisse pourtant d’une beauté éblouissante.
J’aime la Flandre pour ses défauts. Cela, je le crois. Qui a jamais vraiment aimé une femme sait que ce sont ses défauts qu’il préfère. Car les défauts sont une preuve de notre condition mortelle, et sans elle, il n’y a pas d’émoi. Goedele Liekens (NDLR : célèbre présentatrice flamande) est aujourd’hui plus touchante que quand elle était une sautillante Miss Belgique. Elle a quelques kilos en trop, son existence n’est plus aussi lisse. Magnifique. Enfin une femme !
Parlons encore un peu de Goedele. Dans son émission sur VTM Recht van Antwoord, j’ai appris à connaître le célèbre politicien Jean-Marie Dedecker. Nous étions tous deux des « sages », qui à la fin de l’émission devaient porter un jugement sur le malheur de la Flandre. Des sages, nous !… Enfin (1), j’ai appris à le connaître comme un homme affable, d’agréable compagnie. Parfois, il fait un peu l’enfant, mais c’est un homme. Rapidement, je l’ai trouvé sympathique. Naturellement, il est également intelligent. Il dispose d’une remarquable capacité de se battre contre vents et marées, ce que je respecte. Jusqu’au 10 juin, je n’aurais pas employé le mot « respect », hélas je ne suis pas courageux.
Mais voter pour Jean-Marie ? Ça non ! Jamais. « Je dis ce que les gens pensent », dit-il. Pour moi, c’est dommage. Pourquoi ne pense- t-il pas par lui-même ? Il en serait capable. Et c’est son devoir. Un homme politique doit écouter les gens, mais il n’a pas le droit de parler à leur place. Il ne peut pas se contenter de répéter ce qu’ils disent. Si, un peu partout, des hommes politiques ne s’étaient pas battus contre la peine de mort, contre la volonté des gens, celle-ci existerait encore dans la plupart des pays européens. C’est une question de bon sens. Ce n’est pas nuancé. C’est cruel. Ce n’est pas sain. Le bon sens est l’ultime échappatoire à la complexité de la vie. Les normes et les valeurs en sont peut-être la version civilisée. Disons : le bon sens dans un costume du dimanche. Mais laissons ça de côté.
Nombreux sont nos nouveaux élus, y compris Jean-Marie Dedecker, qui se méfient des Wallons. Dernièrement, lors d’une réception, quelqu’un me disait : « Je suis progressiste mais… » C’est ainsi que tous les conservateurs engagent une conversation. Ce « mais » visait, dans ce cas, les Wallons (les Bruxellois francophones sont toujours oubliés). Les Wallons : ils ne valent rien, nous devons nous en débarrasser. Mais comment ? Mon interlocuteur a lancé autour de lui un regard qui reflétait son esprit embrouillé. Jusqu’au moment où quelqu’un lui a tendu un verre de bière. Il a bu une gorgée. Il avait de la mousse sur sa lèvre supérieure. « Il faut nous en débarrasser, mais comment ? » a-t-il dit en reprenant son souffle.
Maintenant, faites attention, grands vainqueurs des élections, à ne pas creuser votre tombe. N’abîmez pas les verres de vos lunettes avec la hampe de vos drapeaux. Car, imaginez que la Flandre devienne enfin indépendante, et que tous les problèmes du monde ne soient pas résolus pour autant. Et alors ? Le seul bouc sur lequel on n’a jamais le droit de tirer, c’est le bouc émissaire : une fois qu’il est mort, on devient responsable de ses propres échecs.
« Walen buiten »
J’aime la Wallonie. Pourquoi ? Parce qu’il y a moins d’haciendas tape-à-l’oeil qui enlaidissent le paysage. Car, franchement, à quoi cela ressemble-t-il, une hacienda dans un lotissement flamand sous la pluie maussade de novembre ? En faut-il plus pour douter de l’existence de Dieu ?
Les Wallons sont différents. Ils ne se vantent pas de leur propre modestie. Ils sont plus chaleureux que les Flamands. Ils se sentent plus Belges que Wallons. Ils cherchent fébrilement des arguments pour continuer à prendre au sérieux la famille royale. Ils sont moins cyniques, mais ne sont pas pour autant moins spirituels ; et ils meurent plus tôt.
On trouve des choses agréables chez nos voisins du Sud. Cet élégant français, tel qu’on le parle en Wallonie, et qu’il est rare désormais d’entendre chez nous. C’est dommage. Nous ne devons pas abandonner le français aux Wallons. Nous serions fous de brader nos facilités qui ont été notre atout pendant des dizaines d’années.
Mais les Wallons ont un charme ultime : ils ne sont pas Flamands. Ce n’est pas qu’il y a un problème avec les Flamands, mais il y en a un quand il n’y a que des Flamands. Alors, il semble qu’il y en a trop, certainement lorsqu’ils agitent des drapeaux, alors que nous sommes pourtant peu, si l’on compte les têtes. Y compris les têtes sans cervelle.
Assez d’autocritique. Je commence vraiment à me faire trop d’ennemis pour pouvoir encore tous les aimer. Car j’aime aussi la Flandre. J’aime plus la Flandre que la Wallonie, parce que je suis Flamand. Si j’aime la Flandre, ce n’est pas pour sa beauté, dans le style d’Anton Van Wilderode (NDLR : écrivain et poète flamand, 1918-1998). Non, cela ne me réussit pas. Les sentiments élevés sont parfois attisés artificiellement. Ainsi d’une beauté qui trouble la vue, qui aveugle, sans qu’il ne s’agisse pourtant d’une beauté éblouissante.
J’aime la Flandre pour ses défauts. Cela, je le crois. Qui a jamais vraiment aimé une femme sait que ce sont ses défauts qu’il préfère. Car les défauts sont une preuve de notre condition mortelle, et sans elle, il n’y a pas d’émoi. Goedele Liekens (NDLR : célèbre présentatrice flamande) est aujourd’hui plus touchante que quand elle était une sautillante Miss Belgique. Elle a quelques kilos en trop, son existence n’est plus aussi lisse. Magnifique. Enfin une femme !
Parlons encore un peu de Goedele. Dans son émission sur VTM Recht van Antwoord, j’ai appris à connaître le célèbre politicien Jean-Marie Dedecker. Nous étions tous deux des « sages », qui à la fin de l’émission devaient porter un jugement sur le malheur de la Flandre. Des sages, nous !… Enfin (1), j’ai appris à le connaître comme un homme affable, d’agréable compagnie. Parfois, il fait un peu l’enfant, mais c’est un homme. Rapidement, je l’ai trouvé sympathique. Naturellement, il est également intelligent. Il dispose d’une remarquable capacité de se battre contre vents et marées, ce que je respecte. Jusqu’au 10 juin, je n’aurais pas employé le mot « respect », hélas je ne suis pas courageux.
Mais voter pour Jean-Marie ? Ça non ! Jamais. « Je dis ce que les gens pensent », dit-il. Pour moi, c’est dommage. Pourquoi ne pense- t-il pas par lui-même ? Il en serait capable. Et c’est son devoir. Un homme politique doit écouter les gens, mais il n’a pas le droit de parler à leur place. Il ne peut pas se contenter de répéter ce qu’ils disent. Si, un peu partout, des hommes politiques ne s’étaient pas battus contre la peine de mort, contre la volonté des gens, celle-ci existerait encore dans la plupart des pays européens. C’est une question de bon sens. Ce n’est pas nuancé. C’est cruel. Ce n’est pas sain. Le bon sens est l’ultime échappatoire à la complexité de la vie. Les normes et les valeurs en sont peut-être la version civilisée. Disons : le bon sens dans un costume du dimanche. Mais laissons ça de côté.
Nombreux sont nos nouveaux élus, y compris Jean-Marie Dedecker, qui se méfient des Wallons. Dernièrement, lors d’une réception, quelqu’un me disait : « Je suis progressiste mais… » C’est ainsi que tous les conservateurs engagent une conversation. Ce « mais » visait, dans ce cas, les Wallons (les Bruxellois francophones sont toujours oubliés). Les Wallons : ils ne valent rien, nous devons nous en débarrasser. Mais comment ? Mon interlocuteur a lancé autour de lui un regard qui reflétait son esprit embrouillé. Jusqu’au moment où quelqu’un lui a tendu un verre de bière. Il a bu une gorgée. Il avait de la mousse sur sa lèvre supérieure. « Il faut nous en débarrasser, mais comment ? » a-t-il dit en reprenant son souffle.
Maintenant, faites attention, grands vainqueurs des élections, à ne pas creuser votre tombe. N’abîmez pas les verres de vos lunettes avec la hampe de vos drapeaux. Car, imaginez que la Flandre devienne enfin indépendante, et que tous les problèmes du monde ne soient pas résolus pour autant. Et alors ? Le seul bouc sur lequel on n’a jamais le droit de tirer, c’est le bouc émissaire : une fois qu’il est mort, on devient responsable de ses propres échecs.