21/02/2006 @ 17:51:16:
Chaleur humaine
Ce sera dans un bus, numéro 71, rempli d'étudiants somnolents, comme moi, ou de gens moroses et silencieux, le moral dans leurs chaussettes humides, qui auront passé la journée dans la lumière blême des néons pour ne sortir du bureau qu'à la nuit tombée. Ce sera l'hiver, avec ses journées étriquées, et il pleuvra.
Ça sentira le chien mouillé, parce que bien sûr, quand il pleut, les bus sont en retard. Ça sentira le chien mouillé, mais les chiens, ce sera nous. Il n'y aura plus de places assises, bien sûr, et il faudra se tenir fermement pour ne pas trop bringuebaler les uns contre les autres dans ce bus aux mouvements saccadés, parce que quand il pleut, bien sûr, ça bouchonne.
Et puis... ce sera doux et discret, mais insistant, la pression d'une épaule sur mon bras: ma voisine qu'un coup de frein aura plaquée contre moi et qui restera appuyée là, comme échouée, comme déposée par la vague des soubresauts rythmés au gré desquels, tant bien que mal, le bus nous emmènera.
Sans doute un peu de lassitude, le besoin d'un soutien... et plus si affinités? Je n'en saurai jamais rien. Et je ne chercherai pas à le savoir, d'ailleurs. Dans deux arrêts, je descendrai. J'irai rejoindre une autre jeune femme, celle dont je serai amoureux, celle qui partagera mon existence. Je me contenterai du reflet d'un visage baissé dans la vitre, sans me soustraire à ce contact qui, le temps de deux arrêts, me réconfortera et me tiendra compagnie dans la solitude paradoxale de ce bus bondé.
En sortant sous la pluie glacée, je presserai le pas pour rentrer, retrouver ma vie et la femme de ma vie. Je commencerai à oublier les traits entraperçus sur le verre embué. Mais je saurai déjà confusément que la pression d’une épaule anonyme contre mon bras, je ne l'oublierai pas.
Ce sera il y a longtemps... il y a plus de vingt ans.