J'ai fait une constatation ce matin qui n'a pas manqué de me laisser passablement désappointée
Je venais d'entamer le troisième bouquin de la semaine, mon roman ado qui, soit dit en passant, s'est fait dévorer; quand j'ai soudainement pris conscience que j'analysais mentalement la scène que j'étais en train de lire, la résumant déjà dans ma tête en prévision de la rédaction de ces critiques.
J'ai été déçue de m'apercevoir que je ne suis déjà plus capable de lire "naturellement" ces livres qui sont pourtant fort agréables dans l'ensemble. Je me suis dit "ça y est, je considère inconsciemment ces lectures comme un travail". C'est dommage, mais puisque je m'en suis rendu compte, je vais pouvoir faire un effort pour recommencer à lire instinctivement, comme avant.
Parce que sinon, ça ôte toute une partie du charme de cet exercice littéro-rédactionnel (si, si ... je viens de l'inventer).
Mais je ne vais pas m'arrêter pour la cause et je vous propose immédiatement le menu de la semaine.
1. L'album
"Quelle affaire avec les papas et les mamans" de Nadine Fabry, 2005
En résumé : Ce n'est pas toujours simple de présenter sa famille ! Quand Aladin parle de son papa, Jami et de sa maman, Eléonore, ça va, ce n'est pas trop compliqué.
Puis on ajoute le grand-père, que Papa appelle Papa, mais qu'Aladin appelle Bon-Papa, "ce qui est logique puisqu'il est bon comme papa pour Papa". S'ensuivent la grand-mère, qui est la maman de Maman, et il y a aussi la maman de Papa et le papa de Maman. Jusque là, il y a encore moyen de suivre.
Ensuite, il faut parler de Zoé. Elle a la même maman, donc elle l'appelle Maman aussi, mais son papa, c'est Pol, qu'Aladin appelle Papapol, mais que Zoé appelle Papa, puisque c'est son papa
Il y a encore Mia, qu'Aladin appelle Mamamia, mais qu'Ali appelle Maman, puisque c'est sa maman. Leur papa a tous les deux est Jami
Ca fait que Zoé et Ali sont les frère et soeur d'Aladin, mais qu'Ali et Zoé ne sont pas frère et soeur
C'est pourtant simple...
Age : Dès 4 ans
Mon avis : Les familles recomposées ne sont plus une denrée rare, ce n'est pas moi qui vais vous l'apprendre
J'aime beaucoup la façon nonchalante utilisée pour raconter la situation familiale. Aladin s'exprime avec beaucoup d'humour et un rien de fatalisme, mais on sent que cette situation lui convient.
Il n'y a pas d'histoire à proprement parler, c'est juste l'exposé d'un état de fait, sans situation de départ ou de fin.
ce livre est plus qu'une histoire à raconter, c'est aussi un outil, surtout quand on a de jeunes enfants dans la situation qui se mélangent les pinceaux entre les générations.
Même si j'ai constaté que les gosses sont extrèmement doués pour s'y retrouver dans les situations familiales les plus complexes, ce livre est également un bon point de repère pour se rassurer et voir que, non, on n'est pas les seuls dans le cas
2. Le roman enfants
"Le visiteur du soir" de Hubert Ben Kemoun, 2005
En résumé : Agathe est tranquillement assise dans le salon avec ses parents à regarder un téléfilm romantique et à se demander ce qu'elle porrait bien faire, bon sang, pour que Jérémy s'intéresse enfin à elle.
Soudain, un crapaud profite de la porte-fenêtre ouverte pour s'immiscer dans la pièce. Après une crise de nerfs de Maman-Patricia et quelques vaines tentatives de Papa-Gilbert pour remettre le crapaud dehors, un fait surprenant se produit, qui déstabilise autant Agathe que ses parents. Monsieur crapaud leur demande avec d'infinies politesses s'il ne pourrait pas regarder le feuilleton avec eux, parce qu'il est vraiment accor et que les voisins, chez qui il s'était incrusté la veille, ont changé de chaîne ce soir-là.
Les premiers moments de surprise passés, les parents d'Agathe finissent par tolérer la présence du crapaud parlant. Celui-ci, qui devait partir aussitôt l'épisode terminé, use de diplomatie et de séduction pour s'insinuer davantage au sein de la famille.
On réalise rapidement que ce singulier crapaud a de multiples ressources. Brillant, intelligent, il ne tarde pas à donner les conseils les plus divers pour se faire définitivement adopter par la famille. Il apprend à Patricia à cuisiner de bons petits plats et à rendre son jardin éclatant, tandis que Gilbert profite de ses judicieux avis sur la météo et le cours de la bourse. Agathe, dont la méfiance s'est transformée en franche inimitié, ne tarde pas a s'effrayer du changement de ses parents (ils semblent comme envoûtés et ne jurent plus que par le crapaud, qui a d'ailleurs investi la chambre d'amis). Bientôt, c'est une véritable haine qu'elle ressent pour "Jean-Robert" et sa vie se réduit à 2 préoccupations : pourquoi Jérémy ne répond-il pas à sa déclaration d'amour écrite, et comment faire pour tuer ce fichu batracien ???
Je ne vous raconte pas la fin, sinon vous n'aurez plus le suspense nécessaire pour avoir envie de commencer le livre
Age : De 9 à 11 ans.
Mon avis : L'idée du prince pas charmant transformé en crapaud, je trouve ça moyen-moyen, genre 3 fois réchauffé, mais il y a indéniablement une touche de nouveauté qui ajoute de la fraîcheur à l'histoire.
L'attitude d'Agathe face à ce nouvel arrivant, version imagée de la jalousie ressentie à l'arrivée d'un petit frère ou d'une petite soeur qui accapare effrontément ses parents, est criante de vérité, et séduit par son énergie et son intensité.
Les dangers que représentent les personnes fourbes et mal intentionnées sont par ailleurs remarquablement dépeintes par le personnage ambigu du crapaud, qui attire par son côté cultivé, mais dont les paroles mielleuses sont uniquement destinées à tromper ses hôtes.
Enfin, les premières amours d'Agathe sont un écho assez fidèle des préoccupations sentimentales des jeunes adolescentes qui rencontrent pour la prmeière fois un garçon qui leur plaît et se pâment en le regardant jouer au foot. Les filles de 10 - 11 ans s'y retrouveront certainement, mais je pense que "Le visiteur du soir" peut aussi être lu par des garçons (pour autant que ce ne soit pas des obsédés de policiers ou de Fantasy).
3. Le roman ados
"Le Muche" de Philippe Meslé, 2005
En résumé : Cela fait 10 ans que Peer vit en tête à tête avec son père, dans une maison antique à la lisière de la forêt et en retrait du village.
Cette maison au charme désuet, c'était un choix de sa mère. Ils y avaient vécu à trois, avant qu'elle ne meure de maladie; Peer étant alors âgé de quatre ans.
Aujourd'hui, Peer est un adolescent taciturne, qui adore son père mais ne sait communiquer avec lui. Il n'a pas de copains, mais beaucoup de filles donneraient cher pour qu'il s'intéresse à elles. De son côté, Peer ne s'en préoccupe pour rien au monde, tout comme de ramener de bonnes notes du lycée ou de faire la vaisselle. Il partage son temps entre la lecture, qui constitue sa plus grande passion, et les balades à vélo dans la forêt de Malebranche, où ses périgrinations se transforment mentalement en aventures sentationnelles vécues par son héros et ami imaginaire, Peter Blake.
C'est lors d'une de ces balades que son univers va basculer, au propre comme au figuré. Alerté par des cris plaintifs, il s'enfonce dans un amas de verdure et le sol se dérobe sous lui. Une chute sans fin lui fait perdre connaissance.
Il se réveille au même endroit, mais c'est le monde autour qui est différent. De retour dans sa maison, il n'y trouve pas son père, mais deux adolescents qui y vivent et y règnent en maître. D'un côté, la lumineuse Anej, dont il tombe immédiatement sous le charme, de l'autre Reptaël, renfrogné et sournois.
Avec Anej, Peer va faire l'apprentissage de l'amour, mais il va aussi se heurter à un monde hors du temps. Là où il est "tombé", pas de télévision, pas de téléphone, aucune manière d'être relié à l'extérieur.
Son village est toujours là, néanmoins l'école et la station service n'existent plus. il n'y a pas de voitures, pas d'argent non plus (lorsqu'il fait les courses, il peut partir sans payer). Le fait le plus surprenant est la moyenne d'âge de la population. Tous les habitants ont entre 10 et 15 ans, et gèrent les activités du village comme des adultes. Autour, à la campagne environnante s'est substitué un désert, sans routes.
Peer doit composer avec ce nouveau monde, qui connaît le lave-vaisselle et les jeans taille basse mais ignore ce que sont les parents ou les policiers. Anej sera présente, souriante et aimante dans sa recherche de vérité, et elle lui donnera surtout les informations-clé qui vont lui permettre de comprendre pourquoi un minuscule oiseau bleu apparaît régulièrement et ce que c'est qu'un muche, étrange créature à laquelle il est sans aucun doute lié.
Age : De 11 à 16 ans environ.
Mon avis : Quand je me donne la peine se faire un résumé de cette taille, cela veut généralement dire qu'il s'agit d'une lecture qui ne m'a pas laissée indifférente
D'abord, une mention spéciale pour la qualité d'écriture. L'ouvrage est parsemé, je pourrais même dire saupoudré, d'expressions imagées qui, à chaque page, ajoutent une réelle dimension visuelle, voire sensorielle de la situation. Je vous en cite quelques unes au hasard, qui m'ont fait sourire :
"Il prit son courage à deux mains, y joignit ses deux pieds pour assurer le coup"
"Il mit son dépit dans sa poche et fit la vaisselle"
"Il traînait tellement les pieds qu'il en laissait des ornières dans le trottoir"
Etc. On en trouve à chaque page, et ces expressions "photos", ludiques, amènent la lecture à un degré supérieur. Je n'ai aucune qualification pour apprécier la qualité "effective" d'un texte, mais quelqu'un qui arrive à sortir une tournure de phrase amusante, originale et fleurie toute les vingt lignes sans être lourd, j'appelle ça une réel talent d'écriture. Chapeau bas à ce monsieur dont je vais essayer de trouver un autre ouvrage vite fait !
Ensuite, je salue le grand réservoir d'imagination qui a servi à créer cette histoire et l'environnement extraordinaire qui y est décrit. Les personnages qui le peuplent, l'invention du muche, de ses capacités et caractéristiques, tout cela me semble inédit et constitue une véritable découverte littéraire. J'ai déjà eu l'occasion de lire pas mal de romans jeunesse et les révélations de ce genre ne se font pas toutes les semaines. Le plaisir de la lecture s'en trouve, par conséquent, encore augmenté !
Les meilleures choses ayant une fin, je conclus par deux bémols
D'une part, sur la forme, je trouve la couverture aussi peu engageante que possible, j'avoue que j'ai pris ce bouquin parce que je n'avais pas le temps de chercher et que je n'en avais pas d'autre sous la main, mais visuellement, il n'est vraiment pas tentant. Heureusement, j'ai eu une bonne surprise, mais c'est dommage.
D'autre part, comme cela m'est déjà arrivé plusieurs fois, je donne une sévère mauvaise note à la conclusion de l'histoire. Non qu'elle se finisse en queue de poisson (je ne vous dirai pas s'il arrive ou non à retourner dans "son" monde), il y a bien une fin, mais il manque un sérieux morceaux d'explications ! On n'a aucune révélation sur le monde fantastique dans lequel il est arrivé, ni sur les personnages clés qu'il y a rencontré. On peut le voir comme un délire imaginaire, une allégorie du passage du monde de l'enfance à celui de l'âge adulte, la quête de réponses que cette transformation représente... D'accord, d'accord, mais ça ne me suffit pas. J'ai l'impression qu'il y avait encore tellement à dire sur cet univers irrationnel, sur la relation entre Anej et Reptaël, la raison de leur présence, etc.
Dommage d'en être sorti si vite... En fait, je crois que je serais bien restée un peu plus longtemps plongée dans cet espace où le temps n'existe pas.
Dernière édition: 11/04/2006 @ 13:07:19