Voici plus d’un siècle apparaissaient les premiers spécimens d’automobilistes. Ils n’ont cessé depuis de proliférer, sans pour autant susciter beaucoup d’intérêt chez nos savants. En cette période d’intense activité migratoire, il m’a paru utile de contribuer à une meilleure connaissance des moeurs de cette espèce fruste, avec laquelle l’homme civilisé semble bien être contraint de cohabiter.

Tempérament. Irascible: l’automobiliste se montre souvent très agressif. Sa sociabilité obéit à des mécanismes fort mystérieux. Autant il semble rechercher la compagnie de ses semblables, surtout au cours des grandes migrations vers le sud, autant cette promiscuité a l’air de l’indisposer, au point parfois de le rendre fou furieux.
Reproduction. Enigmatique elle aussi. On ne comprend pas comment la race a pu survivre, alors que l’automobiliste mâle professe pour sa femelle, la femme au volant, un souverain mépris. On n’en conclura pas que l’automobiliste ne connaît aucune forme de sexualité. Il semble même qu’il nourrisse certains fantasmes, comme celui d’accouplements contre nature avec une femelle d’une autre espèce, en l’occurence l’auto-stoppeuse, d’ailleurs menacée d’extinction du fait même des assiduités de l’automobiliste.
Proies et prédateurs. Les principaux prédateurs de l’automobiliste sont le poulet et le platane.

1. Le platane est l’ennemi irréductible de l’automobiliste. D’une nature patiente, il peut attendre sa proie (généralement au tournant) pendant des années. A noter toutefois qu’il ne sort pas toujours indemne de l’affrontement, dans lequel l’automobiliste garde, somme toute, sa chance. La nature est cruelle mais pas impitoyable.
2. Sous le vocable générique de "poulet", on désigne en fait plusieurs variétés, dont certaines ont même développé d’étonnantes facultés mimétiques qui leur permettent de prendre l’apparence des automobilistes. Elles ne s’en distinguent dans nos régions que par la présence de bandes bleues ou oranges. A la différence du platane, le poulet l’emporte presque toujours sur sa proie. Mais il est rare qu’il la tue, se contentant le plus souvent de prélever ce dont il a besoin pour assurer sa subsistance. En quoi il s’apparente aux autres parasites de l’automobiliste, comme le garagiste ou l’assureur.

Grand chasseur lui-même, l’automobiliste se montre très éclectique dans le choix de ses proies. Citons, parmi ses préférées, le hérisson, le cycliste, le lapin, la poule et le poulet (volailles qu’on se gardera de confondre avec les prédateurs cités plus haut; certains automobilistes distraits en ont fait la triste expérience), et enfin le piéton, dont il fait une abondante consommation.

Il y aurait bien sûr beaucoup à dire encore sur le sujet. J’espère néanmoins avoir quelque peu dissipé le mystère qui entoure cette espèce encore sauvage, mais que l’homme, qui sait? parviendra peut-être un jour à apprivoiser.